Vos racines sont ici et vous attendent

Ce soir, pas de gaminet à vous présenter, j’en ai encore plein en réserve, mais… ce sera pour plus tard.

Un petit tour chez Mil et Une pour combler mon envie d’écrire…

Je vous rappelle la règle du jeu: des images, un texte à écrire sur le sujet… et un mot à ajouter au texte.

sujet semaine 37
sujet semaine 37

LE MOT DE LA SEMAINE EST CITRONNELLE

 

Les enfants sont grands, Léo vit seul à Sydney, il voyage beaucoup et n’est même jamais chez lui. Etienne est en Afrique avec la femme qu’il a choisie là-bas et qu’il ne nous a jamais présentée, je crois qu’ils ont deux enfants maintenant, et Sophia… Sophia est partie à Los Angeles rejoindre la fille de son patron avec laquelle elle vit… Sylvain, mon mari, n’a pas supporté cette situation et a décidé qu’il ne voulait plus voir sa fille. Voilà qui m’a fendu le cœur. Moi, je n’y voyais pas d’inconvénient, du moment qu’elle était heureuse… C’est là que le poison de la discorde a commencé à se distiller dans notre couple… Je suis allée voir Sophia, une fois, pour lui demander de laisser du temps à son père, mais alors elle s’est braquée, m’a dit que je pensais comme lui même si je n’osais pas le dire, et m’a claqué la porte au nez. Je me suis retrouvée à la rue, à plus de 9’000 km de chez moi.

Et quand je suis rentrée… Sylvain m’a quittée! Il ne supportait pas l’infamie que je lui avais faite en allant voir Sophia!

Voilà donc que je me retrouve seule face à ma vie, du haut de mes 47 ans. Jamais je n’aurais imaginé ma vie ainsi, même il y a seulement 10 ans, entourée de mes lycéens et de mon époux chéri…

J’ai besoin de retrouver mes racines, de rentrer chez moi.

Parce qu’il faut vous dire que je ne suis pas d’ici. Je viens de Roumanie. Je suis orpheline, mes parents étaient opposants au régime et cela leur a coûté la vie: mon père a été abattu devant mes yeux et ma mère a été emmenée par la police. Je me suis cachée, puis j’ai été recueillie à l’orphelinat.

J’ai émigré ici en 1990, juste après la chute du dictateur Nicolae Ceaușescu, j’étais encore jeune, sans famille. Je suis arrivée avec un visa de touriste pour apprendre le français, j’ai rencontré Sylvain et je ne suis plus repartie: je n’avais plus rien là-bas.

Et la boucle est bouclée: je suis de nouveau seule… Je veux rentrer, je me sens maintenant comme une étrangère ici, j’en ai assez d’épeler mon prénom; Abhisneha, personne ne connaît ici. Auparavant, j’en riais, et j’épelais de bon cœur : A-b-h-i-s-n-e-h-a, mais ce n’est plus le cas. Je suis de nouveau Abhisneha Constantinescu, après avoir été durant 25 ans Abhisneha Roussel.

J’ai tout bazardé: le pavillon acheté à crédit: vendu! La twingo choisie parce qu’elle était facile à garer: vendue! Les vêtements entassés depuis des années (je ne jette jamais rien, arguant « qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver »): apportés à une oeuvre caritative! Les meubles que nous avions choisis à Ikéa quand nous nous sommes installés ensemble: offerts à Emmaüs (à condition qu’ils viennent les chercher, parce que dans la twingo, on ne transporte pas grand’chose!). Les photos de notre mariage: déchirées, brûlées. La vaisselle: offerte à ma voisine… Pièce après pièce, j’ai tout liquidé.

Et voilà que je me sens légère comme une bulle de savon. Je sors de chez le notaire, je viens de faire transférer la moitié du prix de la maison sur le compte de Sylvain. Je n’ai plus rien que mon sac de voyage fluo, relique de mes jeunes années. Il ne contient que trois livres: Yala de Sœur Emmanuelle que j’ai beaucoup aimé pour son côté humain, l’Odyssée de Sandrine d’Yvette Loiseau, premier livre que j’ai lu en français et qui ne m’a jamais quittée, et Rien n’est simple de Sempé. Quelques vêtements complètent mon trousseau.

Pour une fois dans ma vie, j’ai quelque argent, ce qui me permet de me sentir un peu plus à l’aise. Je prends un billet pour Sibiu, je gagnerai mon village de Luncani en taxi. Ici je n’ai plus rien, là-bas non plus.

Après un voyage long mais sans histoire, me voilà « rentrée »… Je me sens aussi étrangère ici qu’ailleurs. Mes enfants ont eu raison de partir, finalement, ça ne veut rien dire, les « racines »… Du reste, je ne les ai jamais emmenés ici, trop de mauvais souvenirs et de cauchemars.

Je cherche un peu mes repères, l’église, et « ma » maison, l’orphelinat. Je me souviens de la mort de mon père, mais je ne sais même plus où nous vivions…

La maison n’est plus qu’une ruine. Il manque la moitié des fenêtres, les autres sont cassées. Dans mon souvenir, les lieux étaient déjà délabrés, mais maintenant, c’est vraiment terrible de voir le peu qui reste. Dire que j’ai vécu ici… Mon dortoir était là, nous étions 9 filles réparties sur trois lits triples… Quand nous étions petites, nous dormions tout en bas, puis en grandissant, nous avions droit aux étages… Les enfants du village ne nous aimaient pas, sans doute la peur de leur parents de finir comme les nôtres y était-elle pour quelque chose. C’était une époque affreuse, mais j’ai survécu à cela.

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Je puise dans cette force d’enfant pour me tenir debout aujourd’hui.

De l’autre côté de la haie, il y avait l’orphelinat des garçons. Là, il ne reste rien du tout, pas une pierre, rien… J’en viens à me demander si vraiment, le bâtiment était là… Un homme arrive. Dans un roumain approximatif, parce que je ne l’ai ni parlé ni lu pendant tout le temps de mon exil, je lui demande s’il sait ce qui s’est passé. Il soupire et parle si vite que je ne comprends rien. Puis je saisis quelques mots: incendie, hiver, garçons morts… Un drame affreux a dû secouer le petit village. Je ne savais pas. Je suis sans voix.

L’homme se présente, il s’appelle Ovidiu, il était à l’école du village et a perdu dans l’accident son meilleur ami. Je m’étonne qu’il ait été ami avec un orphelin… Il est surpris de ma réaction: comment est-ce que je sais que les orphelins étaient mal acceptés à l’école?

Alors, je lui raconte ma vie… Il me demande si je connais Ekaterina, orpheline elle aussi? Elle était petite alors que j’étais grande, et dans une autre chambre, mais oui, je me souviens vaguement de cette petite fille maigrichonne… Ovidiu me prend par le bras et m’emmène chez lui: Ekaterina et lui sont mariés…

Je me rends dans leur petite maison, le feu crépite, je retrouve un parfum d’enfance. Cette maison était à l’abandon comme la plupart de celles du village, ils l’ont retapée tous les deux, et dans chaque pièce on peut voir leur amour, leur complicité et leur patience.

Ekaterina se souvient bien de moi: elle aimait mes longs cheveux blonds et aurait aimé me ressembler… Elle se souvient qu’un soir où elle était malade, je lui avais lu un passage d’un livre sans image… Elle ne sait plus lequel, elle ne se rappelle que l’absence d’image et son admiration que je puisse en faire jaillir une histoire.

Je passe une courte nuit, hantée par mes cauchemars et mes espoirs. Qu’est-ce que j’attendais en venant ici? Retrouver mes racines… mais quelles sont-elles? Existent-elles encore? Ne se sont-elles pas dissoutes dans toutes ces années d’exil?

Le jour se lève enfin. Sur la pointe des pieds, je quitte la maison pour aller faire un tour dans le village baigné de lumière matinale.

Là-bas, plus loin que le bord du jardin, il y a un arbre tout seul dans un champ. Et c’est comme s’il m’appelait. Je m’approche et caresse son écorce, douce sous mes doigts. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que cet arbre me parle. Personne autour de moi, j’obéis à mon instinct et je le sers dans mes bras comme un être aimé. Je m’assieds à son pied et je pleure toutes les larmes de mon corps. Je pleure mes parents et l’amour qui m’a manqué. Je pleure Sylvain qui m’a quittée. Je pleure mes enfants dont je n’ai pas su me sentir assez proche, avec lesquels je n’ai pas su construire la relation indestructible à laquelle j’aspirais… Je pleure sur ma vie si vide à ce jour. Après un long moment, je me lève et je fais le tour de l’arbre. Je le caresse longuement. Et soudain, sous mes doigts, des cicatrices sur l’écorce. Je m’approche. Je m’en veux d’avoir tant pleuré parce que je vois flou maintenant. Ce sont des lettres qui sont imprégnées dans l’écorce…

Et je me souviens: ces lettres, c’est ma mère qui les a tracées avec un couteau de cuisine. Ce sont les initiales de mon père: Roman Constantinescu et celles de ma mère: Maria-Gabriela Forasco. Et le A, le A… c’est moi!! C’est mon prénom, Abhisneha. Cet arbre, ce sont mes racines. C’est pour cela qu’il m’appelait si fort.

Je vais rester ici, trouver une maison, et m’installer. Je vais aussi inviter mes enfants, mes racines sont aussi les leurs, ils ont le droit de savoir d’où ils viennent. Justement, Ovidiu va à Sibiu ce matin. Je file avec lui, et je cherche un cyber-café. Je dépose ma carte d’identité et paie pour 30 minutes de connexion. Vite, je me crée une adresse à moi Abhisneha_Citronelle@gmail.com, et puis j’envoie à mes trois enfants cette photo:

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et un très bref message: « vos racines sont ici et vous attendent ».

Et maintenant, c’est moi qui attends de leurs nouvelles.

Voili, voilà, une longue histoire inspirée par ces photos.

Une réflexion au sujet de « Vos racines sont ici et vous attendent »

  1. Mais que c’est beau ! Tu as fait se dresser mes poils sur les bras !
    Quelle émotion dégage cette histoire, qui fini sur une belle note positive.
    Tu as un réel talent, as-tu déjà envisagé de te faire publier ?
    Bises

    • Eh non, Sophie… Je laisse à d’autres le plaisir de voir leur nom sur la couverture de leurs livres… Mais un jour, peut-être ? Qui sait de quoi l’avenir est fait ?

      • Tombée un peu par hasard sur ce post…je me suis totalement sentie prise par ton histoire, au point que je cherchais les mots justes pour te « remonter le moral »…!
        En fait ce sont surtout des mots de félicitation pour ton talent de conteuse que je dois te faire parvenir !… Bravo !

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