Le chanteur

Une petite histoire composée pour MiletUne…

Cette fille est incroyable. Je l’ai rencontrée il y seulement 10 minutes, par hasard. J’étais là, sur ma terrasse, je regardais la rue. Comme à mon habitude, je chantonnais. Elle a regardé vers moi, et m’a dit « Quelle belle voix de ténor! » L’aura qui se dégageait d’elle avait quelque chose de magique. J’étais flatté que cette belle femme éprouve un intérêt pour ma personne.

D’un coup, je me suis senti important. Sa simple phrase m’a donné envie de lui raconter ma vie, sans détour. Ma courte carrière à l’opéra. Mon exil loin des salles de concert. Mon mariage…

« Rémy, tu veux beaucoup de poivre dans tes nouilles, mon cœur? » J’ai bien entendu Gisèle qui m’interpellait depuis l’intérieur mais j’ai continué à parler à cette femme, là, dans la rue. Bien sûr, nous aurions été mieux à l’intérieur, attablés devant un thé, un café, ou un verre de blanc… Mais nul besoin de maîtriser la diplomatie internationale pour savoir que Gisèle n’aurait pas aimé. Je lui devais beaucoup, je la respectais et ne voulais rien faire qui puisse susciter sa jalousie.

Elle m’avait aidé à me relever. Elle avait travaillé alors que je n’étais plus rien. J’avais rencontré Gisèle à un atelier organisé par l’ANPE pour savoir comment rédiger un CV. Gisèle était pleine de vie. Elle était motivée, elle voulait travailler, du reste, la semaine suivante, elle commençait dans un nouveau bureau… Poste qu’elle a gardé jusqu’à sa retraite il y a quelques mois.

Pour ma part… J’avais été vedette. Un soir, j’avais dérapé… Il y avait des problèmes dans le spectacle. Des histoires de gros sous, des histoires de fesses, des histoires pas jolies-jolies. J’avais 21 ans et j’étais révolté. Ce soir-là, j’avais chanté… Aussi bien que d’habitude. La perfection. Pas une fausse note. Mais un faux texte. Sur un air de Lakmé, la soprano et moi nous étions écartés du livret d’Edmond Godinet et Philippe Gilles pour dialoguer des paroles composées par Jacques Diolugine, le baryton, dénonçant le système duquel nous étions tous prisonniers. Le temps que la régie s’aperçoive de l’accusation, nous avions déjà chanté une bonne partie de notre mal-être. Cela n’avait pas été du goût de tout le monde… Le rideau jaune avait été rabattu soudainement, et la photo de Lakmé-Justine Durant faufilant son nez pour lancer une dernière phrase avait fait le tour du monde. Mais nous avions été licenciés pour faute grave elle et moi. Je n’avais jamais retrouvé d’embauche dans le monde du spectacle.

Je ne savais rien faire d’autre que chanter… et boire, ce qui n’avait pas aidé. J’étais désespéré… et j’avais rencontré Gisèle. Elle avait eu un coup de foudre, quant à moi… non, honnêtement, je ne crois pas. Mais elle était si gentille, si attentionnée, elle m’avait aidé à reprendre pied, elle m’avait accompagné chez les alcooliques anonymes, et jamais, jamais elle ne m’avait jugé… alors quand elle a voulu se marier, je n’ai pas dit non. Elle a fait tourner la maisonnée, s’est occupée des enfants, a travaillé. Pendant que moi… j’utilisais le peu d’énergie que j’avais à me tenir debout.

« Mais vous aviez l’étoffe d’être un héros, vous étiez un lanceur d’alerte » me souffle la belle inconnue avant de s’éclipser, propulsant son fauteuil roulant à la force des bras.

Et je suis rentré manger mes nouilles. Gisèle n’avait pas assez poivré!

Ci-dessous, l’image proposée par Miletune, avec les mots à placer dans le récit.

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