voix : Madame, Monsieur, veuillez vous lever pour saluer l’entrée de la cour. Merci, vous pouvez vous rasseoir.
Aujourd’hui, sur mandat de Zeus, c’est le juge Calliope, muse de la poésie et de l’éloquence, qui tranchera.
La situation est la suivante : Aphrodite et Perséphone se battent sans relâche pour l’affection d’Adonis. Elles perturbent l’ordre des cieux et la tranquillité des dieux et le voisinage est au bord de l’émeute.
Calliope : J’appelle Aphrodite à la barre.
Perséphone, coupant la parole : Et pourquoi elle d’abord, et pas moi d’abord??
Calliope : Parce qu’il faut bien commencer par quelqu’un!
Aphrodite, aguicheuse, se dirigeant vers la barre : Perséphone, tais-toi, c’est moi la première. Calliope, me voici!
Calliope : Merci de décliner votre identité.
Aphrodite : Eh bien, je suis Aphrodite, tout le monde me connaît, non?? Tout le monde sait que je suis la plus belle des déesses, c’est suffisant comme présentation?
Calliope, impatiente : prénom, parents, état civil, profession.
Aphrodite : Qu’est-ce que c’est formel! On ne doit pas rigoler tous les jours, chez vous… Donc, je suis Aphrodite, la plus belle des déesses, je suis belle et jeune pour l’éternité, je suis la fille de Zeus et de Dioné, je suis mariée depuis trop longtemps à Héphaïstos, j’exerce la profession de déesse de l’amour et de la sexualité, et je peux vous dire que je suis experte en la matière.
Calliope : Vous êtes donc mariée, mais infidèle?
Aphrodite : Ah ben oui… Sinon, comment voulez-vous que j’apprenne tout ce que je sais?? Pas avec ce vieux rustre qui est mon époux, il est laid, il boîte… et il a les mains qui vont avec son métier de forgeron… Croyez-vous qu’il soit capable, franchement, de caresses douces ou de tendresse? Nombreux sont ceux qui sont venus à moi pour s’instruire: Arès, Hermès, Poséidon, Boutès, Anchise, Phaé/
Calliope, l’interrompant : Merci de nous épargner la liste complète… Nous sommes tous au courant de vos frasques. Venons-en au fait, parlez-nous donc d’Adonis.
Aphrodite : Avec Adonis, c’est tout différent. Il ne vient pas à moi pour jouer, nous sommes sincèrement et profondément épris l’un de l’autre. Nous nous sommes aimés, et puis, j’ai eu peur qu’une autre ne le séduise. Alors, je l’ai enfermé dans une magnifique malle en bois, et puis je l’ai expédié par à Perséphone, qui devait le garder dans un coffre à numéro dans une petite banque à Saxon, en Helvétie, bien à l’abri. Et cette chipie, dont la curiosité n’est pas le moindre défaut, non seulement n’a pas déposé la malle, mais encore elle l’a ouverte, et à son tour elle est tombée sous le charme d’Adonis.
Calliope : Merci pour votre témoignage. Vous pouvez retourner vous asseoir. Perséphone, voulez-vous vous présenter à la barre et décliner votre identité: prénom, parents, état civil, profession.
Perséphone : Eh bien, donc, je suis Perséphone. Mes parents sont Zeus et Déméter. Oui, je suis donc la demi-sœur de cette traînée d’Aphrodite. Mais n’allez pas nous confondre! Je suis mariée avec mon oncle Hadès, dieu des Enfers. Je passe 6 mois auprès de mon époux, sous la terre, comme Reine des Enfers, et 6 mois sur la terre, auprès de ma mère, déesse des moissons, et je l’aide pour les récoltes.
Calliope : Greffier, notez bien: mariée avec son oncle. Quelle famille! Dire que l’une comme l’autre sont mes demi-sœurs… Mon père devrait songer à la vasectomie, je ne suis même pas capable de faire la liste de tous mes frères et sœurs!!! Greffier, ne notez pas cette considération toute personnelle!
Donc, Perséphone, exposez-nous les faits… Mais dites-moi, d’abord, vous aussi, vous êtes mariée, et vous aussi, vous êtes infidèle?
Perséphone : Ben oui, comme tout le monde… mais moins qu’elle!!!
Les faits sont très simples. Comme Aphrodite vient de le dire, j’avais trouvé un refuge bien tranquille dans la vallée du Rhône, à Saxon. Maintenant que tout le monde le sait, il va falloir que je me trouve une autre planque. Ce qui est bien en Helvétie, c’est qu’on vous fiche la paix, même si on vous reconnaît. Personne là-bas ne vient jamais me demander d’autographe, ni poser à mes côté pour une photo-souvenir, je me rends utile en aidant à la récolte des abricots puis des poires et des pommes, enfin, la saison commence par les asperges, mais c’est plutôt dans le village d’à-côté. Bref, la terre est fertile, grâce au dieu chevelu Rhône (tiens, voilà un dieu qui n’est pas de notre famille!!!). Les hommes y élèvent aussi des vaches d’Hérens, des chèvres, et puis on cultive beaucoup de légumes, des tomates, des oignons, de la laitue, et l’automne du raisin, et aus/
Calliope : merci, nous ne sommes pas venus pour un cours d’agriculture. Donc, cette malle?
Perséphone : Ah, oui, la malle. Je l’ai reçue. Le type de est un gars vraiment sympa, mignon comme tout, il m’a aidée à la porter sur ma terrasse. Je voulais la charger sur ma terrasse dès la fin des travaux des champs du matin, mais que je suis arrivée pour la prendre, j’ai entendu une respiration. Alors, oui, je l’ai ouverte, et j’y ai trouvé un jeune dieu endormi. Il m’a attendri, et dès les premiers regards, j’étais sous le charme. J’ai écrit à Aphrodite que tout était en ordre, et j’ai commencé une vie délicieuse avec Adonis. Le jour, je travaillais, et quand je rentrais le soir, il m’attendait. Massages, bains bouillonnants, soirées au carnotzet chez Dionysos (c’est aussi mon demi-frère!), fin d’après-midi aux bains de Saillon, il avait toujours de belles idées pour qu’on se détende ensemble… Tout allait pour le mieux jusqu’au jour ou cette folle furieuse est arrivée, faisant arrêter le TGV qui arrivait de Lutèce dans ma minuscule gare de Saxon. Comme si elle n’avait pas pu descendre à l’arrêt régulier d’Octodure et venir par ses propres moyens… Y’en a marre des privilèges!
Calliope, en aparté : Aphrodite, tu as pu faire arrêter le TGV où tu as voulu??? C’est injuste, il n’a jamais voulu faire un arrêt par Aigle pour que je puisse aller skier aux Diablerets… Tu es allée voir la fondation Gianadda, à Octodure? Mais revenons au sujet! Je ne sais même plus où j’en étais! Merci de votre déposition, Perséphone, j’aimerais maintenant qu’Adonis vienne à la barre. Veuillez décliner votre identité: prénom, parents, état civil, profession.
Adonis : Je suis Adonis. Mon père, Cinyras, est aussi mon grand-père, puisqu’il est le père de ma mère, Myrrha, qui se trouve donc être à la fois ma mère et ma sœur… Elle s’est transformée en myrrhe avant ma naissance et je suis sorti de son écorce. Imaginez mon enfance, entre des frères et sœurs paternels qui sont aussi mes oncles et tantes et mes frères et sœurs maternels, qui se trouvent être aussi mes neveux et nièces. Et leurs enfants, mes neveux et nièces, sont pour moi qui un cousin, une cousine, qui un petit neveu ou une petite nièce… Quant à leurs petits-en/
Calliope : Je crois qu’on a compris. Enfin, moi, je n’ai rien compris, mais je ne crois pas que cela va s’éclairer en allant plus loin dans les générations… Quelle situation abracadabrantesque!
Adonis : Ca, c’est bien vrai! Bon, bref, j’ai deux maîtresses, vous n’allez pas me faire la morale, hein, parce que parmi vous, dieux et déesses, personne n’est fidèle!
Calliope : Là, je ne saurais te donner tort. J’ai réfléchi en vous écoutant. Je décide, Adonis, que vous passerez 6 mois sur terre avec Perséphone (les 6 mois où elle n’est pas sous terre) et 6 mois avec Aphrodite, et, de grâce, fichez-nous la paix tous les trois!
Adonis : Mais je ne suis pas d’accord, moi! Quand est-ce que je respire? Quand est-ce que je peux aller au cinéma tout seul, tranquille? Quand est-ce que je vais pécher les perches??? Vous les avez vues, toutes les deux? D’accord, je suis un homme jeune, mais franchement, pour les satisfaire toutes les deux, un régime sur-protéiné ne suffit pas! Je veux, j’exige, du temps pour moi, je ne suis pas un objet!
Calliope : Vous avez raison. Disons alors un tiers, un tiers, un tiers et tout le monde sera content. Mon jugement est rendu, il n’y a pas de cour d’appel. Et si vous n’êtes pas contents, contactez Carla del Ponte au tribunal international. De toute façon, on est très proches elle et moi et elle me donnera raison, alors ne vous fatiguez pas.
Pour finir, tout ce petit monde vit dans la vallée du Rhône, Perséphone à Saxon et Aphrodite à Charrat. Chacune son village, chacune sa gare! Et Calliope et ses sœurs les muses se sont installées à Octodure pour ne manquer aucune exposition de la fondation Gianadda.
… mais bien sûr que tout cela était trop simple pour pouvoir se réaliser! Adonis, le bel Adonis, a bien passé 4 mois avec Perséphone, puis 4 mois avec Aphrodite. Mais quand sont arrivés ses 4 mois de liberté, eh bien… il a librement choisi de les passer avec Aphrodite… Inévitablement, voilà Perséphone jalouse, et rien n’était résolu! Au lieu de troubler l’Olympe, c’est la vallée du Rhône qu’ils perturbaient… Mais cela touchait moins Zeus, qui, cette fois, n’intervint pas.
Un jour où il courrait par un chemin de montagne entre chez l’une et chez l’autre, Adonis se fit attaquer par un sanglier près de Saxon et il fut bien atteint, il voulut courir jusqu’à Charrat retrouver Aphrodite, mais il mourut en route, vidé de son sang. Voyant les traces rouges, les deux déesses comprirent le malheur qui lui était arrivé, et elles pleurèrent. Leurs larmes se mêlèrent aux gouttes de sang et donnèrent naissance à une nouvelle fleur, jaune, qui ne pousse qu’entre Charrat et Saxon, l’Adonis de printemps.
Adonis, c’est aussi le nom de l’éolienne de Charrat.
Voili, voilà, c’était un peu long cette fois, merci à celles et ceux qui auront lu jusqu’au bout. J’avais envie de m’essayer au dialogue, ce n’est pas si facile que je me l’imaginais!
J’ai pris quelques libertés avec la mythologie et avec le temps…
Bonjour élève Gwendoline… Façon pièce de théâtre, bravo pour l’effort, et celui ou celle qui ne connaissait pas tout sur Adonis en est bien instruit chez toi ! Sois le bienvenu Adonis à la cour de récré, MERCI à toi, bises de m’dame JB 😉
Quel courage pour écrire tout ça… Ce n’est pas l’histoire que j’ai préférée dans ta prose, mais je reconnais le bel effort d’écriture…
Bises
Je connaissais pas cette légende, j’ai appris bien des choses grâce à toi et en plus c’est tellement agréable à lire, merci !
Bisous