16 novembre 2015, midi moins 5.
A la cantine, les dames sont bizarres. D’habitude, elles crient contre les élèves comme Albin, un grand de CM2 qui aime bien chahuter et bousculer les plus jeunes… Elles essaient de maintenir les enfants en rang pour traverser le village et se rendre à la salle polyvalente, où ils mangent tous les midis, tout en discutant de tricot ou de ce que portait la femme du maire lors de la fête de la bibliothèque… Mais aujourd’hui, elles ne disent rien… On dirait même qu’Evelyne a pleuré… Non, ce n’est pas possible, Evelyne, c’est une dure, elle est plus dure que les garçons, c’est pas peu dire!
On prend place à table, dans un joyeux tohu-bohu, comme d’habitude… Et puis, Evelyne demande le silence. Alors ça, c’est du jamais vu… Tellement jamais vu que les bambins, un par un, se taisent et écoutent…Evelyne commence à expliquer qu’on va faire silence pendant une minute… Et puis, elle se met à pleurer, cette fois, il n’y a plus de doutes, non seulement on voit les larmes qui coulent, mais en plus, sa voix se casse et elle ne va pas au bout de ses propos…
Alors, Albin se lève pour imposer le silence: « Faut se taire parce qu’à Paris, y’a plein de gens qui sont morts. »
Et les mômes intenables de la cantine du village respectent cette minute de silence, en communion ainsi avec des millions de Français, et des gens plus loin que les frontières. On se tait parce qu’on ne comprend pas. On se tait parce qu’on est triste. On se tait parce qu’on est triste pour les gens qui sont tristes.
On pense aux gens qui sont morts. On pense à leurs familles. On pense à ceux qui vivent à Paris, et ailleurs et qui ont peur. On pense aussi aux Syriens, à tous ceux qui vivent là-bas ou qui sont sur les routes, et qui n’y peuvent rien… Qui sont des victimes de la guerre et de la violence chez eux et qui viennent chercher refuge en Europe, comme Maysan et Basem qui sont arrivés à l’école le mois dernier et qui ne comprennent rien quand ont leur parle.
On pense aussi, bien que cela ne soit pas lié, à nos morts, qui à sa grand-mère, qui à son oncle, qui à son petit chat…
La mort est là, pendant toute cette minute de silence. C’est long une minute complète de silence, quand on a 10 ans comme Albin et qu’on a faim parce que c’est l’heure… Mais chacun respecte…
Puis les conversations vont bon train… On pose des questions à Evelyne. Pourquoi est-elle si triste? Evelyne raconte. La fille de la femme de son frère, qui était à Paris juste pour voir un concert, Eagles of Dead Metal. Son jeune ami tué sous ses yeux… La tristesse… L’incompréhension…
Albin, lui, a vu les camions de police à la télé. Il raconte ce qu’il a compris, et puis il brode quand les choses lui ont échappé. Quand il sera grand, il sera policier, et puis il tuera tous les méchants terroristes avec ses amis policiers, et puis les gens n’auront plus jamais peur, et puis on pourra de nouveau être tranquille. D’ailleurs, puisque c’est comme ça, Quentin qui voulait être réparateur de voitures, il sera policier aussi, et puis ils iront ensemble…
Voili, voilà, une triste nouvelle parce qu’on est dans une page sombre… Et par là même, je m’associe, avec beaucoup de respect et de compassion, à ceux qui souffrent et qui ont peur, à Paris et ailleurs dans le monde.
Bonjour élève Gwendoline, un Albin de circonstance… 130 victimes ça en fait des parents et amis endeuillés, eux n’oublieront jamais, les rescapés non plus, quant à nos jeunes têtes blondes qui ont vu ou pas les images à la télé, leur expliquer telle chose, état de guerre, on s’en passerait ! Sois le bienvenu à la cour de récré, MERCI à toi, bises de m’dame JB
ce n’était certainement pas facile de faire comprendre cette minute de silence à tous les petits enfants…une communion abstraite pour eux heureusment
J’étais avec vous dans ce réfectoire. Très beau récit pour une si triste réalité. Merci du partage. On a plus que jamais besoin de communiquer.
Beaucoup d’émotion en lisant ta version d’Albin . Merci de l’avoir partagée avec nous à la cour de récré
Bises
Un texte magnifique et poignant. Merci Gwendoline…
Bises
Oui merci Gwendoline !Tu trouves toujours parfaitement les mots qui expliquent un ressenti, une émotion. La communion entre les êtres est un si beau geste, on aimerait qu’ils se produise aussi davantage dans des moments moins difficiles.