Aubépine

Aubépine est une princesse…
Toutes les petites filles rêvent d’être des princesses, mais elle, Aubépine, elle aimerait être une petite fille normale…
Elle aimerait aller à l’école avec des enfants de son âge, des « vauriens » comme dit sa grand-mère. Elle est sûre que ce serait palpitant d’avoir des copines d’école… Elle, elle est seule face au professeur. Pas un moment pour rêvasser, pas moyen de se mettre au fond près du radiateur pour somnoler tranquillement dans les matières qu’on aime le moins, pas moyen de se cacher quand on n’a pas fait ses devoirs…

Aujourd’hui, M. Angus, le professeur, s’est fait porter pâle. Aubépine se demande ce qu’on va trouver à lui faire faire… Certainement réviser son violon, ou relire une fois encore le discours qu’elle devra prononcer samedi en allant présider l’inauguration de la crèche du village natal de sa bisaïeule maternelle… Et là, surprise… Il y a un moment de flottement au château… Personne ne sera disponible pour s’occuper d’Aubépine pour les trois heures à venir… Trois heures de liberté! Les premières de sa vie, peut-être…

Bien sûr, interdiction formelle de sortir du domaine, de gêner les domestiques dans leur travail, de courir, de sauter ou de crier dans le château, de jurer, de perturber l’ordre établi, de manquer de respect à tous et à chacun, de parler des secrets d’Etat (comme si elle y connaissait quelque chose!), de se salir, de se goinfrer, de s’abrutir devant un écran, d’exciter inutilement le chien du jardinier, de discuter avec les enfants des domestiques (qui appartiennent, bien qu’ils vivent au château, à la classe des vauriens dont parle tant sa grand-mère), de caresser les lapins (on ne joue pas avec la nourriture…), de se cacher hors de la vue des gardes du corps, de ne pas répondre si on l’appelle… Bref, malgré une liste d’interdits longue comme le bras, Aubépine est bien décidée à ce qu’on ne la prive pas de sa trop rare liberté.

Tout d’abord, elle monte dans sa chambre et commence un collier d’élastiques. Son père lui en a rapporté il y a quelques semaines, arguant qu’elle pouvait aussi avoir de la distraction. Mais de cours en leçons, d’inaugurations en discours, la jeune princesse n’a même pas eu le temps d’ouvrir la boîte. Toute sa vie est réglé à la minute près, tout comme celle de son père ou de sa mère. Bien sûr, elle est très riche, et tout le monde prétend qu’elle est à l’abri du besoin, qu’elle ne manque de rien…

Non mais franchement, c’est ignorer ce qui fait sa vie que de penser cela… Elle a besoin de rêver. Elle manque de liberté, simplement de la liberté d’exister, d’être. Jamais elle n’est Aubépine, toujours elle est « Son Altesse »… Son Altesse devrait… Son Altesse ne devrait pas… Il serait souhaitable que Son Altesse… Ce sont des ordres, en fait, sous ces formules ampoulées qu’utilise Mademoiselle, la jeune Française qui s’occupe de son emploi du temps.

Equipée d’un collier d’élastiques et d’un bracelet assorti, Aubépine quémande l’autorisation de se rendre au jardin. Jeff la suivra, mais elle pourra aller où bon lui semble dans le parc du château. Tout d’abord, elle se rend auprès du jardinier. Souvent, elle le voit œuvrer dans le jardin lorsqu’elle passe, mais elle se demande toujours ce qu’il y fait. Elle s’attarde auprès de lui et le regarde travailler. Il est en train de bouturer des rosiers Princesse Aubépine, ceux qui ont été créés à l’occasion de son premier anniversaire. Elle l’écoute, mais c’est trop compliqué pour elle. Il lui montre une plante dans le jardin, et lui explique que celle-ci est beaucoup plus facile à bouturer. Son Altesse pourrait prendre un pot dans l’appentis et le remplir de terre. D’abord, Aubépine est choquée: elle, princesse, aller jusque dans l’appentis chercher un pot, et le remplir de terre, avec ses propres mains (qui, pour le coup, ne seraient plus si propres!!!). C’est impensable! Pour qui la prend-elle, ce vulgaire jardinier. Elle est bien heureuse, finalement, de ne jamais avoir eu le temps de s’arrêter pour voir ce qu’il faisait! Penserait-il qu’elle n’est rien de plus que l’un de ses commis? Et puis, elle se prend au jeu. Elle serait un commis du jardinier et elle travaillerait pour lui. Elle se rend donc dans la cabane, et trouve un pot fort à son goût. Elle le remplit de terre. Quelle surprise! Ce n’est ni gluant, ni froid, ni répugnant, et ça ne sent pas mauvais. Au contraire, la terre est douce dans ses mains, et Aubépine regrette que le pot soit si vite plein. Fière de son travail, elle se présente au jardinier. Il l’emmène près des coleus, qui mourront dès que l’hiver sera là.
« Votre Altesse aime-t-elle cette variété, avec des feuilles grenat striées de doré, ou préfère-t-elle celle-ci, avec ses feuilles roses ourlées de vert, à moins qu’elle ne penche pour celle-ci, vert vif et jaune? »
Aubépine est incrédule: ainsi, elle peut choisir! Il y a tant et tant de coleus dans ce jardin… Elle ne sait que choisir. Le jardinier rit. Si Son Altesse ne veut pas choisir, elle peut remplir plusieurs pots de terre et avoir plusieurs plantes, une de chaque sorte, même…
Sous le charme, Aubépine se rend dans l’appentis et remplit ses petits pots de terre, puis elle retourne auprès du jardinier, qui lui montre comment prélever un bouture et la mettre en terre. C’est très facile. Avant une heure, Aubépine a bouturé elle-même sept coleus différents. Jeff est mis à contribution pour aider à rapporter les plantes dans la chambre princière.

Aubépine s’est prise de passion pour ses plantes. Elle a demandé à avoir des cours de botanique, ce qu’elle a obtenu. Et les années ont passé…

Lorsqu’Aubépine s’est mariée, bien des années plus tard, à un beau prince charmant dont le cheval blanc s’appelait Sel, elle a exigé (c’est plus facile d’exiger quand on est une princesse adulte que quand on est une princesse enfant) d’avoir des branches de coleus comme bouquet de mariée, malgré les cris d’orfraie poussés par la fleuriste: « Mais enfin, votre Altesse, vous n’y pensez pas… Cela ne s’est jamais fait, ni dans notre royaume, ni au-delà des frontières! Que pensera le Prince Fenouil en vous voyant arriver ainsi à l’autel? ». Fenouil penserait bien ce qu’il voudrait… Elle le soupçonnait de ne pas faire la différence entre une rose et un radis, alors il ne penserait vraisemblablement pas grand’chose de son bouquet, il serait déjà bien content de la voir arriver, elle! Aubépine cède du terrain: la fleuriste pourra mettre trois roses Princesse Aubépine au milieu des feuillages.
Et contrairement à ce qu’a pensé la fleuriste… son bouquet de mariée a été copié dans le monde entier. Le coleus est devenu la plante à la mode l’année après leur mariage. Son feuillage coloré fait des merveilles pour rehausser les bouquets.

Fenouil et Aubépine régnèrent longtemps sur leur pays, dont la plante officielle est devenue le coleus. Aubépine en a une telle collection que plus personne ne peut les compter.

Quelques mots sur cette nouvelle: bien sûr, toute ressemblance avec une personne existant ou ayant existé serait purement fortuite. Toutefois, il faut savoir que Fenouil et Aubépine sont les héros des histoires que je racontais à mes filles pendant les voyages en train quand elles étaient plus petites. Sel est le nom du cheval blanc de la maison Citrouille de Vulli qui a bercé mon enfance et partagé mes jeunes années. J’ai toujours la reine et Sel sur mon bureau!


C’est la toute première fois que je donne à ces héros une existence qui ne soit pas aussi éphémère qu’un voyage en train!
Et pour celles et ceux qui ont aussi peu de connaissances botaniques que Fenouil, voici une image de coleus:

Voili, voilà. A tout bientôt pour d’autres histoires. Merci Jill Bill d’accueillir la Princesse Aubépine avec respect lorsqu’elle viendra écouter les chansons des vauriens de la cour de récré!

Une réflexion au sujet de « Aubépine »

  1. Bonsoir Gwendoline…. envier ou pas une gamine au sang noble dans les veines, je me dis que non en soupirant, si surveillée la pauvrette et que d’interdits ! Plus âgée ouf tout de même… Côté personnage je n’ai pas connu, mais ces feuilles colorées si, tout en ignorant leur nom… sois la bienvenue Aubépine à la cour de récré, MERCI à toi, bises de m’dame JB 😉

  2. la vie de princesse n’est pas très envieuse….le protocole interdit beaucoup de choses….
    les coléus sont de très jolies fleurs….aubépine a eut raison de tenir tête à ce fleuriste, cela a du être un joli bouquet, à sa place, j’aurais aussi ajouter quelques fleurs d’aubépine et des branches de fenouil….
    bises
    françoise

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