L’interro


Ce matin, la maîtresse pose devant chaque enfant une feuille d’interro. Ils le savaient et pour la plupart, se sont donné la peine de réviser.

Les questions portent sur l’origine de l’univers, la théorie du Big-Bang et tout ça… La maîtresse, qui n’aime pas donner de mauvaises notes, décide de faire des questions faciles, cela permettra aux mauvais élèves de remonter un peu leur moyenne, et aux bons d’avoir une victoire facile. Ca aide aussi à garder confiance en soi…

L’interro se passe sans histoire, les enfants rendent leurs copies et sortent en récré.

… et la maîtresse commence les corrections… Elle n’en croit pas ses yeux!

A la question « Quelle théorie scientifique explique que l’univers est né d’une explosion il y a 14 milliards d’années? »
– Chilpéric, manifestement encore à Londres dans sa tête, a répondu « le Big Ben »;
– Eusébie a associé explosion et terrorisme, et elle a répondu « Al Qaïda ou Daesch, je sais plus ». Cela ferait rire si ce n’était pas si triste.
– Bibiane, elle, a commenté que cette théorie était certainement fausse, « parce qu’une explosion, ça détruit et ça construit pas! »
– Matthéo, prêt à monter un groupe de jazz, rapporte que cette explosion s’appelle le Big Band.
– Crépin, qui n’a pas encore atterri après avoir vu « Le Réveil de la Force », a écrit « voie lactique »… à moins qu’il n’ait trop regardé les publicités qui parlent de l’acide lactique…

Question suivante: « Comment s’appelle notre galaxie? »
– Pour Théophraste, c’est la Terre, pour Gérard, l’air, pour Japhet, l’eau. Ne manquerait plus que l’un ou l’autre réponde « le feu » et les 4 éléments seraient présents… On y presque, du reste, puisque Marie-Antoinette pense que c’est le Soleil…
– la maîtresse rit beaucoup aussi de l’orthographe adoptée par ses élèves… Marine a écrit la Voylacter, Sybille, la voix laitière (elle a bien écouté l’histoire, mais pas tout retenu!), Wandrille, lui, a écrit en un mot voilacté, sans parler de la voile Actée de Julien, Justine a écrit « Voie laquée », puis elle a corrigé en écrivant « Voie laquetée ».

Ensuite, une phrase à compléter: « Auparavant, on pensait que la terre était… ; aujourd’hui, on sait qu’elle est… »
– Estelle pense qu’avant, on pensait qu’elle était petite, et que maintenant, on sait qu’elle est grande, alors que pour Julie, qui pourtant n’est pas du tout près d’elle en classe, avant on pensait qu’elle était grande et maintenant, on sait qu’elle est petite… Tout est relatif, finalement, Albert vous le dirait!
– Pour Japhet, (tiens, encore lui!), avant, on pensait qu’elle était ovale (écrit « auvale »…)!

Enfin, dernière question, une autre phrase à compléter: « Les bactéries ont été la première forme de … sur terre ».
– Marilyne a répondu que ça avait été la première forme d’humains… elle rejoint assez Mikael pour qui c’est la première forme d’animaux.
– Pour Théo, il faudra l’équiper d’un tournevis, car les bactéries ont été, écrit-il, la première forme de vis… Cruciforme ou plate? Il ne précise pas!
– Carine estime qu’elles ont été la première forme de maladie… sans se demander qui elles ont pu rendre malade, quant à Quentin, il a répondu que c’était la première forme de parazzite (orthographié tel quel!).

Finalement, la jeune femme se faisait tout un monde de perdre sa pause à faire ces corrections, mais elle s’est bien détendue et a beaucoup ri. Elle regrette maintenant d’avoir jeté tous ses cahiers d’écolière, car il lui semble qu’il y aurait aussi eu de quoi rire de longs moments… et de quoi partager avec les autres maîtresses! Elle se rend compte que ses institutrices ont dû rire, elles aussi! Il lui revient cette maxime de Joseph Folliet: « Bienheureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes: ils n’ont pas fini de s’amuser. » Après s’être amusée aux dépens des chères têtes blondes que l’éducation nationale lui confie, elle rit maintenant de ses propres étourderies.

Voili, voilà, un tir groupé pour la cour de récré de Jill Bill… Désolée de ne pas être plus présente, mais mes journées n’ont malheureusement que 24 heures!!! Ma vie ressemble un peu à ça en ce moment…

trop de travail

Gisèle

Gisèle et Lucienne sont inséparables depuis toujours. Elles aiment médire de leurs voisins, du quotidien, de l’actualité, de la vie qui passe…

Elles ont un style d’enfer…

Elles me font rire.

Je les aime parce que leur humour décapant et leur regard décalé sur les autres, les incompréhensions dont elles témoignent souvent me font voir la vie autrement.

Bien sûr, je veux parler de ces deux délicieuses dames un tantinet désuètes… Vous avez reconnu sans peine les Vamps!

Gisèle, donc, héroïne du jour:

Et pour finir, l’un de leurs petits numéros, les voici dans un centre bien-être… au lieu d’aller rejoindre les autres à la cour de récré de Jill Bill!

Une petite anecdote: à la maison, toutes nos filles sont appelées Gisèle quand elles font la mauvaise tête, quand elles sont bougonnes… on se demande bien pourquoi?!?!

Voili, voilà, ce n’est pas une nouvelle, mais un petit clin d’œil cette fois.

Baptiste

Tous les matins, Maman quitte la maison à sept heures moins un quart. Elle prend soin de réveiller les trois enfants d’un tendre bisou et elle file…

Thomas, Baptiste et Irène se lèvent, s’habillent, déjeunent, se débarbouillent et se brossent les dents (pas toujours…) puis ceux qui veulent aller à pieds partent.

Papa, lui, se lève à sept heures et demi, s’habille à toute vitesse, descend l’escalier, met son manteau et ses chaussures et amène en voiture les enfants qui sont encore à la maison. Papa, il faut le dire, déteste se lever le matin et il fait tout au dernier moment. Quand les enfants étaient plus petits, Maman le forçait à se lever pour s’occuper d’eux, mais maintenant, ce n’est plus nécessaire…

Donc, ce matin, quand Papa arrive dans l’entrée, il n’y trouve qu’Irène, qui sagement s’est préparée. Il faut dire qu’elle attend toujours Papa, contrairement aux garçons…

Papa prend la main de sa petite dernière, et ensemble, ils se rendent sur le parking, montent en voiture et filent à l’école. C’est pratique que Papa soit instituteur justement dans la même école.

Irène file en maternelle et Papa rentre dans sa classe. Il accueille les élèves et la matinée se passe comme d’habitude.

Et c’est l’heure tant attendue de la récréation. Les enfants adorent ce moment car Jill, la jeune femme qui surveille la cour, a toujours une blague à leur raconter, elle est toujours attentive à leurs petits bobos, toujours prête à écouter leurs petits secrets. Et même, elle joue au loup avec eux!

Papa se rend dans la cuisinette et met en route la machine à café. Mme Louson, la maîtresse de Baptiste, arrive vers lui, énervée.

– Eh bien, chère Collègue, le café était trop chaud, ce matin?
– Laisse donc mon café en dehors de la conversation… Je déteste qu’on ne me prévienne pas quand un enfant est absent. Et que ça vienne de toi, alors que tu es mon collègue et qu’il t’était si facile de venir me prévenir, je trouve cela déplorable.
– Comment ça, que ça vienne de moi?

A l’instant où il prononce cette phrase, Papa se rend compte que Mme Louson est en train de lui dire que Baptiste n’est pas là… Sans attendre la réponse de son acariâtre collègue, Papa se rend dans la cour. Il cherche Baptiste, ne le trouve pas, alors il cherche Thomas, qui joue au foot avec les autres garçons. En général, les enfants et Papa ne se parlent pas pendant l’école, cela évite de susciter des jalousies avec les autres enfants.

– Eh, Thomas, y’a ton père!

Thomas, surpris, se retourne. En effet, Papa lui fait signe. Il voit tout de suite que quelque chose cloche. Papa demande à Thomas s’il a fait route avec Baptiste pour venir à l’école. Mais non, lorsque Thomas est arrivé pour déjeuner, Baptiste était déjà parti.

Papa retourne dans sa classe. Il appelle l’hôpital. Non, aucun piéton n’a été renversé ce matin. Il appelle Maman, qui s’inquiète à son tour. Papa la tiendra au courant dans la matinée. Il retourne à la cuisinette et interpelle 5 collègues. Après la récréation, ses élèves de CE2 seront répartis dans d’autres classes. Papa refait, à pieds, le chemin entre l’école et la maison. Il regarde partout pour voir s’il trouve Baptiste, blessé, malade ou inconscient. Il arrive à la maison. Il n’a trouvé personne. Papa est vraiment très inquiet. Il appelle la police, qui assure qu’elle arrive. Il appelle Maman, qui va rentrer du travail tout de suite.

Dix minutes plus tard, dans le salon se trouvent Maman, Papa et deux policiers. Ils expliquent qu’il ne faut pas perdre de temps. Un accident n’est pas exclu, mais ce peut aussi être un enlèvement. Maman est dans tous ses états, Papa se tait mais il suffit de le connaître pour savoir qu’à l’intérieur de lui, une tornade est en train de tout dévaster. Les policiers appellent du renfort, et demandent à voir des photos de Baptiste, que Maman leur montre sur son téléphone. Comment était-il habillé ce matin? Personne ne sait, personne ne l’a vu… L’un des policiers est en train de téléphoner pour demander du renfort. Le salon est en effervescence comme jamais. On ne rigole pas avec les disparitions d’enfant.

Et voilà que, bâillant, Baptiste arrive, en pyjama. Voyant tout le monde affolé, il s’affole à son tour. Et s’il était arrivé quelque chose à Maman? Mais non, il la voit sur le canapé… A Thomas alors? Ou à l’adorable petite peste d’Irène???

Maman le voit. Elle crie son nom… « Baptiste, tu es là, mon chéri! » Elle se précipite vers lui et le serre dans ses bras. Elle rit et elle pleure en même temps. Papa les rejoint et lui aussi, il serre son fils dans ses bras. Baptiste en est sûr maintenant, il est arrivé quelque chose de très grave. Peut-être à Irène et à Thomas en même temps???? Peut-être que Papa et Maman n’ont plus que lui, ce qui expliquerait pourquoi ils le serrent si fort.

L’un des policiers s’approche… Bon, c’est lui, le petit disparu?? Papa est honteux… mais il doit bien avouer que Baptiste est bien là en chair et en os… et en pyjama… Les policiers sont heureux que l’histoire finissent bien… mais un peu énervés d’avoir été dérangés pour rien. Ils quittent la maison.

Papa, Maman et Baptiste se retrouvent à la cuisine. On rit, on s’embrasse, le soulagement est palpable. Papa et Maman, chacun leur tour, appellent au travail pour rassurer les collègues qui les ont vu partir dans la précipitation.

Autour d’un bon bol de chocolat chaud, avec des biscuits même si ce n’est pas jour de fête, on reconstitue le puzzle de la matinée.

Maman a réveillé Baptiste, qui, contrairement à son habitude, ne s’est pas levé pour partir tout de suite, mais s’est retourné pour fuir la lumière du jour… et s’est rendormi. Thomas s’est levé et quand il est arrivé dans la cuisine, il a cru que son frère était déjà parti et ne s’en est pas soucié. Papa est parti avec Irène sans réaliser que Baptiste n’était pas parti…

… quelle aventure dans la famille ce matin-là!

C’était il y a dix jours maintenant. Depuis, Papa se lève rapidement, parfois même avant le départ de Maman. Il surveille les enfants et s’assurent qu’ils prennent tous le chemin de l’école… Combien de temps va-t-il pouvoir faire cet effort-là??

Voili, voilà, une petite nouvelle pour la cour de récré de Jill Bill.

Hermione

Hermione en a marre… Ras-le-bol. Par-dessus la tête. Sa claque. Sa dose. Plein les bottes. Jusque là. Assez. Et même plus qu’assez. La coupe est pleine…

De quoi se plaint-elle, osez-vous demander?

Hermione se plaint de… de… de s’appeler Hermione.

En 1977, ses parents ont choisi ce prénom, ils ne savent même plus très bien pourquoi. En tout cas ni en souvenir de la Fayette, ni en pensant à la fille éponyme de Ménélas et d’Hélène. Ils l’ont appelée comme ça… parce que ça leur plaisait, voilà tout. Comment avez-vous choisi le prénom de vos enfants, vous?!

Quand elle était enfant, cela ne lui a posé aucun problème. Elle épelait gaiement son prénom chaque fois qu’on le lui demandait, d’abord avec une certaine fierté de savoir toutes ces lettres, et puis avec la facilité que confère l’habitude. Elle le faisait même sans y réfléchir, chaque fois qu’elle donnait ses coordonnées.

Et puis… et puis un jour, ce fut en 2001, pour la première fois, quelqu’un lui demanda: « comme dans Harry Potter? » « Harry qui? Harry quoi?… je ne sais pas… vous faites certainement erreur… » Et puis… et puis, elle n’a plus eu besoin d’épeler. Aujourd’hui, grâce à Madame Rowling, qui, elle, n’a pas eu la délicatesse de donner son prénom mais seulement des lettres mystérieuse, JK, par lesquelles la presse la désigne toujours, JK Rowling, donc, a eu l’ingénieuse idée de donner son prénom à elle à l’héroïne de son roman… Et voilà que son prénom chéri, si rare, si agréable à entendre, à nul autre pareil, s’est retrouvé à tous les coins de rue… Des bébés. Des chiens. Des lapins nains… sans compter le nombre de conversations entre adolescents boutonneux… Hermione Granger par-ci, Hermione Granger par-là…

Elle pensait que cela se tasserait. Que nenni. Après le succès des livres sont sortis les films. Et vlan, c’était reparti pour un tour. Après le succès des films, il y a eu des jeux. Et vlan, c’était reparti pour un troisième tour. Ensuite de quoi Hermione se crut tranquille. C’était sans compter les tours de magie de l’apprenti sorcier… Paf, voilà-t’y-pas que les fameux adolescents boutonneux étaient devenus parents à leur tour et avaient donné naissance à des enfants… qui étaient à leur tour passionnés de magie, tout moldus qu’ils fussent

Vraiment, elle n’en peut plus. C’est invivable. Surtout depuis qu’elle a rencontré un garçon formidable l’été dernier sur une plage de Cornouailles. Il est beau et lui plaît terriblement. Coup de foudre réciproque, les tourtereaux se sont mis en ménage. Maintenant, elle hésite à l’épouser. Il faut dire que lui, il s’appelle Ronald (et son frère Harry, ça ne s’invente pas…) alors… on met une chouette sur le faire-part???

Voili, voilà, une nouvelle plus allègre que la dernière! … et une invitation à lire Harry Potter si vous ne l’avez pas encore fait.

Léger

Léger, c’est le prénom que deux parents éplorés ont choisi pour leur enfant.

Deux parents éplorés, parce que Léger s’en est allé. Il ne pèse que quelques grammes… mais son empreinte dans leur vie, elle, pèsera chaque jour son poids.

Léger s’en est allé, au bout de 5 mois de grossesse. Il n’était pas fait pour la vie, ou la vie n’était pas faite pour lui. Quoi qu’il en soit, ses parents ont « fait le choix » de laisser partir ce bébé qui n’aura pas d’existence. Il ne sera pas dans leur livret de famille. Il n’aura pas de sépulture. Il ne restera de lui que quelques échographies troubles et le souvenir de ses parents. Souvenir de la joie ressentie à la découverte de sa présence. Souvenir d’avoir vu le cœur de leur tout premier enfant battre. Souvenir de l’émotion.

Léger s’en est allé, et ses parents lui souhaitent une vie plus belle que celle qu’il aurait pu vivre s’il avait été un enfant « normal ». Une vie plus belle parce que la vie après la mort, comme on dit, est une vie sans souffrance… La vie après la mort… Pour Léger, cela aura plutôt été la mort avant la vie.

Un enfant qui a perdu ses parents, c’est un orphelin, mais des parents qui ont perdu un enfant n’ont pas de nom…

Voili, voilà, une nouvelle un peu franchement triste… franchement proche de ce que j’ai pu vivre… Un petit Léger qui ne se rendra jamais dans la cour de récré chez Jill Bill!

Et, avant de vous quitter, une magnifique chanson de Linda Lemay, que j’ai un peu paraphrasée dans ma dernière formule. Bien sûr, ça fait un peu cliché… mais ça correspond vraiment à une réalité!

Charlotte

– Demain, c’est Noël, demain, c’est Noël, demain, c’est Noël! clame Charlotte tout au long de la journée…
– Non, reprend Maman, demain, c’est la veille de Noël.
– Ben alors, quand est-ce qu’il vient, le Père-Noël?
– Eh bien, il vient la nuit entre la veille de Noël et Noël, la nuit du 24 au 25 décembre.
– Et j’ouvrirai mes cadeaux le 25??
– Ben oui.
– Bon, alors j’en garderai un pour Abraham de ma classe, parce que lui, il n’en aura pas, parce qu’il est pas gentil.
– Comment ça, il n’est pas gentil?
– Ben oui, il est pas gentil, parce qu’il est juif.
– Mais, Charlotte, tu aimes beaucoup Abraham, tu es tout le temps en train de jouer avec lui, et tu ne le trouves pas gentil, juste parce qu’il est juif??? Qui t’a mis en tête une idée pareille?
– C’est la dame du catéchisme.

Maman est perplexe. Chrétienne convaincue, pratiquante, elle envoie sa fille au catéchisme en dehors de l’école, mais si c’est pour l’entendre proférer de telles horreurs, c’est sûr, sa fille ne continuera pas. Immédiatement, elle téléphone à Sophie, la catéchiste.

– Sophie, ce que j’ai à te dire est un peu délicat, surtout si près de Noël, mais j’aimerais que Charlotte arrête le catéchisme. Je ne supporte pas l’anti-sémitisme que tu répands dans tes cours. D’autant qu’Abraham, le meilleur ami de Charlotte, est juif lui-même.

Sophie reste sans voix. Elle ne voit pas de quoi parle la maman de Charlotte. C’est vrai que dans le Nouveau Testament, les juifs n’ont pas toujours le beau rôle, mais elle essaie toujours de faire comprendre aux enfants le sens caché des textes. Elle réfléchit aux dernières leçons… Vraiment, elle ne trouve rien à se reprocher qui puisse être vu comme de l’anti-sémitisme. Elle propose une entrevue entre le prêtre, la maman (et le papa aussi s’il désire venir), Charlotte et elle-même, Il est important de tirer cette histoire au clair. Rendez-vous est pris, après les vacances de Noël.

Mercredi 6 janvier, voici réunis Charlotte, la maman, le papa, l’Abbé Gilles et Sophie. Personne n’est très à l’aise…

Sophie commence la discussion, demandant à Charlotte de s’expliquer. Avec naturel, la petite fille rappelle la visite à l’exposition sur Saint-Paul, et les explications de Sophie. Paul est l’apôtre des gentils. Les gentils, ce sont les gens qui viennent des autres nations, qui ne sont pas juifs, ce sont les goyaves, précise-t-elle même. Donc les juifs ne sont pas gentils. Mais elle aime beaucoup Abraham, même-s’il-n’est-pas-gentil-parce-qu’il-est-juif. Charlotte est très fière d’avoir si bien retenu la leçon.

Le soulagement se peint sur les traits de Sophie. L’Abbé Gilles réprime un fou-rire. Mais les parents, eux, restent furieux.

Sophie et l’Abbé se donnent la peine d’une rapide leçon de catéchisme aux parents. L’Abbé précise même que la seule erreur dans l’exposé de Charlotte est d’avoir parlé de goyaves, il s’agit en fait du mot hébreux Goyim גוי.

Les parents sont rassérénés en comprenant leur erreur. Sophie et l’abbé sont heureux de constater qu’il ne s’agissait que d’un mal-entendu. Et Charlotte est la plus heureuse des petites filles de pouvoir rester amie avec Abraham-le-pas-Gentil!

Voili, voilà, une nouvelle recrue pour la cour de récré chez Jill.

Abraham

Cher Père-Noël,

Pour Noël, je voudrais simplement fêter Noël.

Tu sais, quand j’arrive à l’école en janvier, tous les autres enfants parlent de ce qu’ils ont reçu. Et moi, tu ne passes jamais chez moi, je ne reçois jamais rien.

Peut-être que t’as pas mon adresse: donc je m’appelle Abraham Vicklo, et j’habite au 17 allée des Cerisiers à Mialet.

Faut dire que chez moi, y’a pas de sapin, y’a pas de guirlande, y’a pas non plus d’enfant Jésus qui dort dans de la paille. C’est peut-être pour ça que tu viens pas.

Ou alors, tu m’as pas dans tes fichiers parce que je t’ai jamais écrit… C’est donc chose faite.

Moi, j’ai des cadeaux pour mon anniversaire, pis à Hanoukkha aussi…

Bon, cher Père-Noël, j’espère quand même que tu vas passer cette année!!!

Abraham.

Voili, voilà un petit Abraham un peu fâché, quand même, que l’homme en rouge ne vienne pas le voir… Jill, tu lui expliques un peu pourquoi?

Eurydice

Aujourd’hui, c’est le 8 décembre. En Valais, c’est un jour férié, car c’est le jour de l’Immaculée Conception.

Eurydice, comme toutes les petites filles de son âge, est bien contente de rester à la maison en ce mardi de début d’hiver…

Au milieu de l’après-midi, elle s’approche de sa mère, avec beaucoup de douceur…

– Maman, j’aimerais prier avec toi…
– Prier ma chérie? La mère est interloquée, ce n’est pas une pratique courante à la maison!
– Oui, j’aimerais prier Marie.
– Eh bien, comme tu voudras, ma petite Eurydice…

Mère et fille s’agenouillent sur les coussins du salon, convertis pour l’occasion en coussins de prière.

Eurydice ferme les yeux avec ferveur. Sa mère entame un Ave Maria, repris par l’enfant.

Puis la mère prie à haute voix, demandant à la Sainte-Vierge d’intercéder pour tous ceux qui ont faim, tous ceux qui sont victimes d’injustice, tous ceux qui subissent les guerres…

Eurydice enchaîne, comme elle l’a appris à la catéchèse: tous ceux avec qui on est méchants, tous ceux qui sont tristes, tous ceux qui sont seuls… Et puis, Marie, mère de Jésus, je veux te prier pour te remercier.

Là, Maman s’étonne… pourquoi remercier Marie précisément?

Et Eurydice de répondre: « Ben, parce que si qu’elle n’aurait pas existé, on n’aurait pas congé aujourd’hui! »

Voili, voilà. Eurydice est vraiment un prénom que je trouve adorable… Je crois que je n’ai pas fait assez de filles pour leur donner tous les prénoms qui me plaisent!

Jérôme

Tous les matins, Jérôme prend le bus à 7h43 devant la maison. Le bus n’attend pas, si Jérôme n’est pas à l’arrêt, il ne ralentit même pas. Deux fois, alors qu’il était encore au CP, il a dû faire à pied les six kilomètres qui le séparent de l’école. La leçon a été bien comprise, Jérôme est désormais tous les matins à l’arrêt du bus.

Mais voilà… ce matin, il ne trouve pas de chaussettes. Il est déjà 7h38…

– Mamannnnnnnnnnn!!!! J’ai plus de chaussettes!!!!!
– J’ai fait la lessive hier soir, je les ai mises à sécher mais elles ne sont pas encore prêtes… Regarde dans le tiroir des chaussettes dépareillées, tu en trouveras certainement 2 identiques.

Voilà Jérôme qui fouille et qui farfouille… Et le temps qui passe… Jérôme trouve deux chaussettes, l’une avec un dinosaure, l’autre avec un Transformer… Mais elles sont bleu foncé toutes les deux, il décide qu’elle iront très bien. Il enfile ses chaussettes, ses baskets, attrape son cartable, lance un « bonne journée » à la cantonade et file… il arrive juste en même temps que le bus!

A midi, Maman demande s’il a bien trouvé les chaussettes qu’il cherchait. Il explique sa démarche et, un brin vantard, se targue « J’ai le sens pratique, moi! » Maman est bien étonnée. Depuis qu’il est né, Jérôme n’a jamais vraiment manifesté de sens pratique… Mais bien sûr, elle ne veut pas blesser son fils. Toutefois, le coup des chaussettes dépareillées, elle en a assez. Enfin, elle lui répond en souriant « Mon petit chéri… Si tu avais le sens pratique, peut-être pourrais-tu mettre tes deux chaussettes au sale en même temps? »

Voili, voilà. Je suis certaine que Jill Bill trouvera une place dans la grande cour de récré pour Jérôme et son sens pratique.

Prudence

Prudence n’aimait pas son prénom… Du reste, elle ne connaissait personne d’autre qu’elle qui l’ait porté… Même Sainte-Prudence, vaguement fondatrice d’un couvent, morte en 1492 (tiens, quand Christophe Colomb, lui, découvrait l’Amérique…) semblait être aux abonnés absents… Et en plus, comble de malchance, elle détestait tout autant son nom de famille, Belin… On lui demandait si souvent « Comme les biscuits? » qu’elle avait fini par adopter cette façon de le dire… Belin-comme-les-biscuits…

Bref, de moqueries en brimades dans les cours de récréation qu’elle avait bien trop subie, Prudence devint adulte. Elle pensait qu’on la charrierait moins à ce moment-là. Que nenni! Collègues et voisins continuaient la ronde des quolibets.

Prudence en vint à détester son identité… et, petit à petit, à se détester elle-même… Ce fut la suite d’une longue descente aux enfers… Anorexie… Automutilations diverses… Dépression… Tentatives de suicide… Elle finit par être hospitalisée. Elle perdit ainsi encore un peu plus sa dignité, surveillée sans cesse, de crainte qu’elle se fasse du mal. Elle n’avait plus aucune intimité avec elle-même. Les visites des bénévoles de l’hôpital l’indifféraient. Les soins des infirmières l’horripilaient. Les tournées des médecins l’exaspéraient. Et chacune des nouvelles personnes qui entraient en contact avec elle en l’appelant par son prénom ne faisait qu’empirer les choses… Elle se mura dans le silence pendant plusieurs années. Les docteurs se demandaient même si elle n’avait pas de lésions qui l’empêcheraient de parler.

Un jeune homme venait régulièrement visiter le service où Prudence était internée. On lui avait expliqué qu’elle souffrait d’une forme particulièrement profonde de dépression et que rien ne servait de lui parler car tout lui était égal… Un jour, il lui parla sincèrement: il trouvait que son prénom ne lui allait pas… Prudence… Elle qui avait tant joué avec sa vie… Non, vraiment, c’était trop bizarre. Il était sûr qu’elle ne prêtait aucune attention à ses paroles, alors il en rajouta, un peu…

Le lendemain, Prudence décida de se coiffer… Peut-être cet homme reviendrait-il? Il revint. Cette fois, c’est sur son nom qu’il engagea le monologue… Belin, comme les biscuits, alors qu’il était si difficile de lui faire ouvrir son petit bec d’oiseau tombé du nid… La vie, vraiment, avait un humour curieux…

Du lundi au vendredi, il venait. Il s’arrêtait auprès de chaque lit du service et échangeait quelques mots avec les patients qui le voulaient. Mais pour chacun, il avait un regard, un intérêt… Prudence attendait ses visites. Après quelque temps à se coiffer, elle décida de s’habiller, aussi, pour ses visites. Plus tard, elle chaparda un joli rouge à lèvres à l’une de ses voisines. Elle reprenait figure humaine. Le 17 septembre, elle essaya même de le saluer. C’est un borborygme qui sortir de ses lèvres. Il n’est pas si facile de parler après des mois de silence. Chaque visite apportait sa légère amélioration.

Après plusieurs mois de ce manège, Prudence semblait n’avoir jamais été malade. Seules quelques cicatrices ici et là parlaient de son passé. Seule sa pâleur évanescente laissait deviner sa profonde fragilité… Un jour de plus où le jeune homme la visitait, elle lui expliqua le bien qu’il lui avait fait en parlant sans détour de son identité… Il était le premier à avoir reconnu où sa souffrance prenait sa source…

« Tu n’aimes pas ton nom? Ben, marie-toi! Au moins tu auras la chance de perdre ce Belin-comme-les-biscuits qui t’agace tant! » Se marier? Qui voudrait l’épouser, elle? « Eh, bien… moi, par exemple… » répondit-il en rougissant.

L’épouser? Lui qui, le premier, avait pris soin d’elle, de qui elle était, qui avait deviné la profondeur de ses blessures?

L’idée fit son chemin mais prit du temps… Il fallut d’abord que Prudence soit jugée apte à s’occuper d’elle-même. Ensuite, il fallut qu’elle puisse sortir de l’hôpital. Il l’aida à reprendre contact avec l’extérieur…

Changer de nom… changer d’identité… Cette perspective se précisait…

Et Prudence finit par se sentir prête. Entre deux témoins, ils se dirent oui pour la vie… Elle profita du changement de documents d’identité pour utiliser son deuxième prénom, dont elle ignorait l’origine, comme prénom usuel. Prudence Belin devint donc Laure Rioux. Pas d’identité trop chargée… Pas de moqueries… Une nouvelle personne était née de cette union. Ce n’était pas, comme dans la plupart des couples, un joli bébé rose et joufflu… Non, c’était simplement elle-même qui était venue au monde…

Et elle vit que la vie était belle et valait la peine d’être vécue.

Voili, voilà… Une nouvelle recrue pour la cour d’école de Jill Bill…