« Parfois, la mariée est trop belle, et ce serait trop beau si l’on pouvait changer de peau… » Cette chanson me trotte dans la tête. La mariée… la mariée… aujourd’hui, c’est moi… Enfin, je crois! Mais oui, j’aimerais changer de peau… être ailleurs et ne pas me poser toutes ces questions…
Cela fait des mois que nous préparons l’événement. Enfin, nous… Damien, surtout… Moi, déjà, je ne voulais pas trop me marier… et pas trop avec lui… ni avec personne… C’est une longue histoire…
J’avais vingt-sept ans quand je l’ai connu. Avant lui, un certain nombre d’hommes (sept, pour être précise), et même deux femmes, avaient partagé ma vie, pour deux mois ou trois ans… Je ne crois guère à l’amour, mais je n’avais jamais supporté de vivre seule. Depuis mes quinze ans, j’ai passé seulement quelques semaines célibataire, j’ai toujours été en couple. Bref, pas grand chose à raconter sur ces relations, si ce n’est leur point commun, je suis toujours partie. Jamais personne ne m’avait quittée, je ne l’aurais pas supporté. Alors, dès que je sentais que notre couple s’étiolait, battait de l’aile, je me sauvais, au propre comme au figuré… et je me consolais dans d’autres bras.
Avec Damien, pour moi, c’était pareil. Jusqu’au jour où, je ne sais toujours ni pourquoi, ni comment, il était tombé sur le carton qui contenait tous mes agendas, que je garde précieusement, et dont je me sers encore aujourd’hui comme journaux intimes. Au jour le jour, il avait ainsi pu suivre toutes mes vies de couple. Et la lente dégringolade de chacune d’elle. A vrai dire, j’avais été plus qu’évasive sur mes amours passées, il n’en savait donc rien…
Quand j’étais rentrée ce soir-là, il m’attendait à la salle à manger, et il m’avait dit « Il faut qu’on parle »… Cette phrase, c’est toujours moi qui la dis, et c’est toujours pour annoncer une rupture. Mon sang n’avait fait qu’un tour… Damien allait me quitter, j’en étais sûre. Pour la première fois de ma vie, j’allais être plaquée, abandonnée, délaissée, répudiée, lâchée… Mon cœur battait à cent à l’heure… Damien s’était approché de moi, m’avait prise dans ses bras… Même pas le courage de faire les choses rapidement, avais-je pensé.
Il s’était ensuite éloigné, puis m’avait désigné les agendas dans lesquels il avait mis une série de petits feuillets repositionnables pour marquer les pages. Il m’en lut quelques passages… et puis, me regardant intensément, il dit « Je ne veux pas être la dixième rupture! » et après un temps: « Je veux t’épouser. »
Les semaines qui suivirent se sont très vite enchaînées… Publication des bans… Faire-parts… Invitations… Sélection de la salle… Entretiens avec le curé de son enfance… Rendez-vous chez le traiteur, dégustation du menu… Choix des alliances…
Et voilà, c’est le jour J. Je suis grisée. Je n’en reviens pas. Me marier, moi???
Je suis prête. Coiffée, habillée… J’ai demandé à Marie-Laure, mon amie de toujours, qui m’a aidée à me préparer, de me laisser seule… Je veux encore réfléchir, c’est bien le dernier moment. En catimini, je quitte la maison et, dans ma robe blanche mais pieds nus, je me faufile dans les ruelles pour arriver sur la plage. Le Léman est un peu gris, un peu bleu… C’est une belle journée du début d’été. Je regarde l’eau. Je pose mon bouquet sur le sable et, de mes deux mains, lève ma robe et plonge mes pieds dans l’eau. La fraîcheur me fait du bien… Le large m’appelle… Et si je n’y allais pas? Bien sûr, Damien serait déçu, nos familles aussi (enfin, la sienne, moi, je n’ai que mon père, ni mère, ni frère, ni sœur…)… Mais bon, est-ce si grave? Tout le monde s’en remettrait, et les invités auraient au moins une anecdote originale à raconter sur ce mariage! … ou ce non-mariage…
J’en suis là de mes réflexions. Au loin, les cloches sonnent… Je regarde une dernière fois vers le large, le bateau de la CGN qui passe au loin… Ce n’est plus le large qui m’appelle, mais Damien… et le son des cloches me montre bien à quel point je suis en retard… Je cours dans les rues de la petite ville, les gens se retournent sur mon passage, j’entends des rires… et une petite fille qui demande pourquoi je n’ai pas de chaussures!
Me voilà, Damien, je suis là! Papa me sourit, me prend par le bras et me conduit dans la petite église. Il me glisse: « Tu n’avais pas un bouquet? » Le bouquet. Mince!!! Tant pis, si Damien m’aime assez pour m’épouser après tout ce qu’il a lu… il m’aimera assez pour m’épouser sans bouquet!
Tout ça pour vous expliquer pourquoi je suis la mariée sans bouquet… Car quand Marie-Laure a envoyé sa fille aînée chercher le bouquet sur la plage… quelqu’un l’avait pris! Je suis contente de me dire qu’il a rendu quelqu’un heureux. Et finalement, je suis très heureuse de me marier sous ce soleil radieux.
Dans le cadre des photos de la semaine, Fille aînée a photographié ce bouquet, trouvé sur une plage. Les commentaires vont bon train sur son site pour essayer d’expliquer la présence de ce bouquet abandonné… Je me suis donc lancée à écrire une nouvelle… La chanson que la mariée, mal dans sa peau, fredonne au début s’appelle Manque de pots, de Valérie Lou, mais je n’ai pas trouvé de lien pour vous la faire écouter. « Parfois, je voudrais être chat, parce que quand on est chat, on reçoit des mamours sans trop se fatiguer… » c’est le début des paroles.
Voili, voilà.
Encore un bien agréable moment de lecture…