Edgar avait connu Myriam au lycée, dans la cour de récré. Ils n’étaient pas dans la même classe, mais ils s’étaient sentis proches, complices, dès les premiers instants. Edgar était malheureux à la maison. Myriam aussi. Comme deux âmes en perdition, ils s’étaient attachés l’un à l’autre. Ils n’étaient pas amoureux, pas vraiment. Mais si l’un d’entre eux avait fait un pas dans ce sens, c’est certainement un couple qui aurait tenu contre vents et marées, parce qu’ils avaient suffisamment de proximité d’âme pour que cela colle, suffisamment de tendresse pour prendre cela pour de l’amour.
Mais ni l’un ni l’autre ne fit jamais ce pas-là. Ils se confièrent leurs béguins, Myriam aida même Edgar à conquérir une jeune lycéenne. L’idylle fut de courte durée et Myriam consola Edgar lorsqu’ils rompirent.
Edgar à son tour consola Myriam lorsque son petit ami la plaqua. Il la consola encore lorsque le suivant se fit attraper en train de vendre de l’herbe, et d’autres drogues plus néfastes à des collégiens. Il la soutint quand elle apprit qu’elle était enceinte du jeune prisonnier et qu’elle décida de garder l’enfant alors qu’elle n’avait même pas son bac.
Les chemins des lycéens se croisent et se décroisent. Edgar changea de lycée et Myriam resta dans celui qui avait permis leur amitié. Myriam pensait lui demander d’être le parrain du bébé, mais Edgar ne donna plus signe de vie. Elle accoucha seule, sans soutien, le père en prison, Edgar faisant le mort et ses parents l’ayant mise dehors lorsque son ventre commença à pointer.
Edgar avait rencontré une autre lycéenne et s’installa avec elle. Il n’atteignit jamais avec elle la proximité qu’il avait vécue avec Myriam. D’abord, les deux jeunes filles étaient différentes, ce qui est déjà une explication. Et puis, la vie les ayant éloignés, la vraie Myriam s’effaça, ne laissant d’elle dans la vie d’Edgar qu’une marque vaporeuse et idéale. Même s’il vivait avec Blandine, Edgar continuait à vivre dans son âme avec Myriam, et jamais il ne permit à une autre d’avoir accès à cette partie de son intimité
Alors que sa femme attendait un enfant, Edgar eut l’occasion de renouer avec Myriam grâce aux réseaux sociaux. Jamais il ne regrettait d’avoir épousé Blandine, mais toujours il lui fut lourd de ne pas être aussi proche d’elle que de Myriam. Il lui reconnaissait plein de qualités et il était très amoureux d’elle, mais il lui semblait toujours qu’avec Myriam, les choses auraient été plus douces, plus agréables. Parce qu’avec elle, ils se comprenaient sans avoir besoin de ne rien dire, alors qu’avec Blandine, il fallait toujours tout expliquer, et de toutes façons, elle ne comprenait finalement jamais qui il était, ce qu’il aimait, ce qui le faisait vibrer. Il passait du bon temps avec Blandine, mais Myriam l’idéale lui manquait.
Chaque matin, il se connectait juste pour souhaiter une douce journée à Myriam. Chaque soir, avant d’éteindre, il lui souhaitait une belle nuit. Il était heureux: Blandine dans son lit, Blandine dans sa cuisine, Blandine portant leur enfant, et Myriam dans sa vie, Myriam dans ses pensées, Myriam dans son âme. Myriam comme confidente et Blandine comme amante. Il ne se sentait pas infidèle et s’en défendait vertement. Mais Blandine souffrait, Blandine s’aigrissait, sans comprendre pourquoi la vie de couple devenait si étouffante et si pénible, alors qu’ils auraient dû se réjouir de l’arrivée du bébé et s’épuiser aux préparatifs. Et Edgar ne la supportait plus, tout en refusant l’idée même de se séparer de la mère de son enfant. Désespéré, il s’en ouvrait à Myriam, sans jamais lui dire, bien sûr, qu’elle était la raison de cette tension. Elle lui donnait des conseils pour prendre soin de leur couple, pensant que la grossesse était la source de cette instabilité.
Edgar savait qu’il fréquentait une autre femme que la sienne, mais comme il n’y avait pas de sexe entre eux, il ne s’estimait pas infidèle.
Blandine sentait une incompréhension dans son couple, mais n’arrivait pas à en trouver l’origine, n’ayant jamais seulement entendu parler de Myriam.
Myriam, déjà mère, savait quelles difficultés traversent les couples dans ces moments, et ne saisissait pas l’entier du problème.
Vint le jour où l’enfant pointa le bout de son nez. Ils savaient qu’ils attendaient une fille mais n’avaient pas encore choisi de prénom, par superstition. Conduisant la voiture, Edgar se tourna vers Blandine et lui demanda, à brûle-pourpoint: « Et Myriam, que penses-tu de ce prénom? » Blandine, trop heureuse qu’enfin ce père indigne s’intéresse à son enfant, s’empressa d’accepter. Il n’avait peut-être pas fait grand’chose pour elle durant cette grossesse, mais au moins se préoccupait-il du prénom de l’enfant, ce qu’elle prit pour un signe fort de son attachement au bébé.
Edgar continuait sa correspondance effrénée avec Myriam. Il lui fit part de la naissance, lui dit sa joie d’être père (ce qu’il n’avait pas non plus jugé utile de partager avec Blandine) et l’informa du prénom choisi en son honneur. Si elle fut touchée, elle n’en laissa rien paraître, et profondément, Edgar fut blessé. A qui en parler? ni à Myriam, ni à Blandine, les deux personnes dont il était le plus proche et dont il avait le plus besoin.
Un jour où Edgar avait laissé son ordinateur allumé, Blandine passait par là, elle vit une conversation ouverte entre Edgar et son âme sœur (pas de prénom, juste cette mention). La conversation ne comprenait qu’une seule phrase, de la main d’Edgar: « Tu me manques ». Pensant à une maîtresse, Blandine comprit en un instant la raison des tensions entre eux. Sans pleurs, sans heurts, en silence, elle prit son bébé, ses affaires, et partit à l’autre bout du pays, vivre sa vie. Elle éleva Myriam seule, sans jamais savoir d’où lui venait ce prénom. Comme Edgar ne la recontacta pas, se contentant de signer tous les papiers que son avocate lui fit parvenir, Blandine pensa qu’il filait le parfait amour avec son âme sœur et qu’elle avait bien fait de libérer le plancher.
Edgar ne voulut jamais comprendre pourquoi Blandine l’avait quitté. Mais lorsqu’il expliqua à Myriam le départ de Blandine, ignorant toujours tout de l’histoire, son amie de toujours le réprimanda. Lui rappela qu’il fallait prendre soin d’une jeune accouchée, et lui montrant qu’il n’avait pas été à la hauteur. Elle lui dit sa déception de comprendre qu’il n’était qu’un rustre. Elle refusa dès lors de continuer tout échange avec lui. Et Edgar resta seul, écartelé entre deux femmes qu’il idéalisait autant l’une que l’autre et paralysé à l’idée de mal faire.
Voili, voilà. Jill Bill, une petite place à la cour de récré pour ces grands lycéens attardés?
Bonjour élève Gwendoline, ah le moindre qu’on puisse en dire c’est un sac de noeuds pour Edgar… un coeur pour deux femmes et finalement bien seul !!! Quand à Myriam, fille-mère, sois la bienvenue à la cour de récré, MERCI à toi, bises de m’dame JB 😉
J’aurais juste aimé une autre fin mais c’est super ! Bravo !
Coucou Alexandra,
Qu’aurais-tu aimé comme fin?
Je suis curieuse de savoir!
Très bien écrit, on s’y laisse prendre…
Incroyable la force des non-dits…
Bises
Une vie tiraillée entre deux femmes !!!! Pas facile !!!! Il se retrouve finalement tout seul aigri… Pas top !!!!
Bises
mon coté fleur bleue aurait réuni tout ce monde pour qu’enfin les choses soient claires !
bravo pour la romancière Gwendolyne
Bravo pour cette histoire qui plonge dans une réalité difficile , la force des non – dits est souvent implacable .
Bonne soirée
Bisous
un magnifique texte avec une triste fin …
bisous